Vendue
En 1991, Jeff Buckley était loin d’être la légende que l’on connaît à l’heure actuelle. Il était simplement le fils de Tim Buckley, un chanteur folk mort à l’âge de 28 ans qu’il n’avait pas connu, et commençait à peine à faire entendre sa propre voix artistique. Il participe au concert hommage à son père “Greetings From Tim Buckley” et c’est à cette occasion, à Brooklyn, qu’il fait la connaissance de Janine Nichols, la directrice du programme Art At St Ann’s (du nom de l’école d’art de Brooklyn justement).
Jeff a subi un cambriolage peu de temps auparavant et Janine lui prête donc sa guitare, une modeste Telecaster de 1983. Elle avait changé le pickguard pour une plaque miroir faîte par Carvin sous l’influence de la grande Chrissie Hynde (The Pretenders). Les Tele de cette époque sont un peu particulières puisqu’elles font partie des dernières fabriquées aux Etats-Unis avant la période de transition du milieu des eighties. Elles ont la réputation d’être lourdes et de ne pas être de très bons instruments, mais Buckley a bien prouvé qu’entre les bonnes mains une Telecaster moyenne peut se transformer en harpe angélique. Celle-ci a un chevalet top-loader, autrement dit les cordes ne passent pas au travers du corps, ce qui donne généralement un claquant supplémentaire. On trouve cette bizarrerie sur les Tele de 1959, mais sur cette 1983 le chevalet allie top loading et six pontets, une combinaison aussi rare que reconnaissable.
Toujours est il que Buckley s'amourache de cette Tele et en fait son instrument principal qu’il joue sur scène (notamment au club Sin-é) puis en studio, pour l’enregistrement de son album Grace. Il l’a alors faîte refretter et a remplacé le micro chevalet par un Seymour Duncan Hot Lead Stack. C’est dans cet état qu’on la voit dans le fameux clip de Hallelujah, d’où le surnom de Hallelujah Telecaster dont a hérité cette guitare.
(1966 - 1997)
Guitare principale : Fender Telecaster 1983
Titre à écouter absolument : Grace
Jeff Buckley est une anomalie sublime, un artiste intemporel et anachronique qui ne collait vraiment pas avec son époque. Alors que le monde avait les yeux rivés sur Guns n’ Roses ou Nirvana, le jeune Jeff a sorti discrètement le plus bel album des années 90, une musique profonde et hantée qui doit autant à Led Zeppelin qu’à Edith Piaf. Pourtant, en tant qu’ancien élève du Musician’s Institute de Los Angeles, Buckley aurait pu devenir un shredder parmi tant d’autres. Son père était l’artiste Tim Buckley mais il ne l’a jamais connu, et sa culture musicale lui est donc venue par sa pianiste et violoncelliste de mère.
C’est pourtant par un concert hommage à son père en 1991 à Brooklyn que Buckley se fait remarquer, et qu’il commence à développer sa carrière d’artiste solo entre Los Angeles et New York. Après avoir accompagné de nombreux groupes dans des styles très variés, du jazz au reggae, il rejoint le groupe Gods And Monsters avec l’ancien membre du Magic Band de Captain Beefheart Gary Lucas, avec qui il a coécrit plusieurs titres que l’on retrouvera sur Grace. Buckley s’impose petit à petit comme l’artiste à ne pas rater dans le Greenwich Village de New York. Il a ses habitudes au club Sin-é, où il joue seul accompagné de sa fameuse Telecaster blonde, en prenant le temps de dialoguer avec un public de plus en plus nombreux.
Finalement, il signe chez Columbia après avoir été copieusement dragué par la plupart des labels de l’époque. Il s’alloue les services du producteur Andy Wallace (Slayer, Springsteen, Faith No More…), assemble son groupe (avec le deuxième guitariste Michael Tighe) et enregistre ce qui va devenir Grace. L’album sort finalement en 1994, perdu entre le premier Marilyn Manson et le deuxième Boyz II Men. Cette oeuvre d’une finesse absolue peine d’abord à trouver son public, même si les vrais connaisseurs (et les fans que sont Jimmy Page ou Bob Dylan) s’accordent à dire qu’il s’agit d’une pièce de maître. Buckley tourne, et on le voit alors avec ses trois électriques de prédilection : Telecaster 1983, Les Paul Custom black beauty de 1976 et Rickenbacker 12 cordes pour Last Goodbye, le tout branché sur un Twin combiné à un Mesa Boogie Tremoverb.
Entre deux concerts enflammés, Jeff commence à travailler sur son deuxième album To My Sweetheart The Drunk, mais sa noyade du 29 mai 1997 met brutalement fin à une carrière plus que prometteuse. Depuis, Grace a été redécouvert comme un des albums les plus importants de sa décennie et la version Buckley de Hallelujah est devenue un standard moderne. Ça n’est que justice.