Vendue
Les américains ont le terme parfait pour cette guitare : “workhorse”. Le cheval de trait, l’outil de travail, l’animal docile et aidant, l’engin sans raffinement ou sophistication qui fait exactement ce qu’on lui demande. La J-45 n’est pas la guitare la plus tape-à-l’oeil de Gibson, et comparée à la J-200 ou la Hummingbird elle paraît carrément spartiate. Son sunburst sombre n’a pas la chaleureuse teinte miel d’une Martin vintage et elle n’a pas non plus l’énorme projection d’une dreadnought de Nazareth.
Mais l’attrait d’une grande J-45 est ailleurs. C’est une voix familière, un ronronnement rassurant et inspirant, un gros son chaud et sec à la fois. C’est un manche qui se love naturellement dans la paume de la main et qui incite à rester des heures sur un simple accord de Sol, juste pour profiter de l’intense richesse harmonique de chaque corde à vide. La J-45 est l’arme ultime du songwriter, la guitare qui assoit et complète parfaitement l’organe humain sans lui prendre toute la place. Ce n’est pas un hasard si on la retrouve entre les mains de vocalistes chevronnés comme Bruce Springsteen ou Buddy Holly.
Et la seule chose encore plus émouvante qu’une bonne J-45, c’est une vieille J-45 qui sonne, une guitare qui a déjà été l’outil d’un autre qui l’a aimée des années durant et lui a confié ses plus beaux accords. En vieillissant, les J-45 gagnent en soyeux des aigus et en rondeur de l’attaque, pour un résultat qui peut tutoyer le sublime.
Disons-le tout de go : c’est le cas pour cette belle brune de 1956. Elle est une player dans tous les sens du terme : les frettes, les mécaniques, le chevalet et les chevilles ont été changés, une attache-sangle a été rajoutée au talon du manche et on peut voir des petits cracs maîtrisés dans son dos. À son apparence, on voit immédiatement qu’elle a beaucoup servi et il suffit de deux accords pour comprendre. Celle-ci fait partie des excellentes, celles qui donnent envie d’écrire de meilleures chansons pour avoir quelque chose de digne à leur faire jouer.